21 juillet 2011

Quand Bilal se paye Shakespeare, Julia & Roem



S'il y a bien un auteur de bandes dessinées que même les non-aficionados du neuvième art connaissent, c'est bien Enki Bilal. Son style, aujourd'hui reconnaissable au premier coup d'oeil, ces expos ou encore la vente aux enchères de certains de ces dessins vendus à prix d'or (je dirais même de plutôt honteux...) l'ont fait connaître du grand public. Et c'est donc avec un plaisir fébrile que je me suis rué sur sa nouvelle production, avide de sa patte et de son univers si particulier. Alors qu'en est-il de ce Julia & Roem dont le nom nous donne vaguement un sentiment de déjà vu.


Je vais donc lever tout de suite le mystère et mettre un terme aux spéculations dont vous deviez être secoué, oui la nouvelle bande dessinée de Bilal trouve son influence auprès de ce cher William Shakespeare et de son Roméo et Juliette.
L'histoire : dans un monde bouleversé par un cataclysme climatique sans précédent (le coup de sang relaté dans Animal'Z, son album précédent), modifiant la topographie du monde tel qu'on le connaît, un prêtre multi-confession (oui chez Bilal ça existe...) prénommé Lawrence, va se retrouver confronté à une reconstitution de la célèbre pièce shakespearienne et va mettre tout en œuvre pour que les évènements ne soient pas aussi funestes que dans l'original. 
Oui c'est improbable, oui ça paraît complétement ubuesque, mais c'est le pari que s'est lancé Enki Bilal dans le 2e tome de sa trilogie sur la planète. On va donc suivre notre jeune poseur Roem (Roméo pour ceux qui n'avaient pas suivi !) accompagné de son ami Merkt (Mercutio ici, là forcément faut connaître la pièce) tout aussi poseur, tomber amoureux de Julia (Juliette oui, ici on peut pas se tromper) et où Tybb (Tybalt, ça va, vous suivez toujours) viendra mettre son petit grain de sel dans tout ça exactement comme dans l’œuvre anglo-saxonne. Malgré les innombrables tentatives de par le monde de relire ce classique du théâtre qu'est Roméo et Juliette, le défi avait de quoi passionner entre les mains d'un des auteurs de bd les plus reconnus en France. Mais malheureusement, mis à part l'audace de l'inversion dans les noms dans le titre, le reste de l'essai s'avère être un semi-échec. Pourquoi ? Tout d'abord parce qu'en voulant (ou par fainéantise ?) rester proche de l’œuvre de départ, Bilal n'apporte absolument rien au matériau d'origine mis à part un pseudo suspense sur la finalité de l'histoire. Mourront-ils, mourront-ils pas... L'artificialité du propos en devient agaçante et on finit par se désintéresser du résultat des manigances de ce pauvre Lawrence. Même le cadre particulier, très bien dépeins dans le début de la bd, faisant d'ailleurs un bel écho à Animal'Z, intéressant même si assez improbable, et plutôt attrayant, est laissé de côté dès que Roem et Julia tomberont amoureux. L'impact du cadre n'a aucune conséquence et on pourrait être au fin fond du Larzac que l'histoire serait exactement la même. Et puis, allez savoir pourquoi, mais Bilal a tenu absolument à faire dire à ses personnages une bonne dizaine de fois que ce qu'ils vivent leur rappelle furieusement la pièce de William Shakespeare. Que la chose soit dite une ou deux fois, pas de problème, on comprend la nécessité pour les protagonistes de réaliser ce qu'ils sont en train de vivre, mais nous le marteler toutes les 4 pages, il y a de quoi se demander si l'auteur nous prend pas pour des débiles. Et puis comble de la faute de goût je trouve, faire dire aux personnages des passages de la pièce original. Cette liberté confère un ridicule à tous ces braves gens dont ils se seraient bien passer au vu de la tête de photocopie caricaturale sans saveur qu'il dégage. Sur la longueur, on se fiche de ces jeunes poseurs censés être l'incarnation du classe (hormis le père Lawrence seul personnage intéressant), et quand la fin arrive, on oublie aussi vite l'histoire que l'on vient de vivre en leur compagnie (ils étaient comment déjà les personnages...). 
Du coup on pourra quand même se consoler en regardant les planches de ce Julia & Roem. Et là on retrouvera Enki Bilal, son style puissant et déstructuré, sombre dans cette épisode, où la volonté affichée et de montrer un monde dévasté, une ambiance triste magnifiée par ce style si caractéristique. L'utilisation du papier de couleur brun, comme avec le bleu d'Animal'Z, donne une ambiance toute particulière à ce tome, et il faut l'avouer, est plutôt agréable. Même si les personnages ne sont pas tous du même niveau, le tout reste agréable à regarder. C'est moins détaillé, les décors sont plus épurés que dans Le sommeil du monstre par exemple, mais l'ambiance cadre avec ce monde en lambeaux. 


Vous l'aurez compris, ce Julia & Roem est pour moi une grosse déception. Admirateur de l’œuvre de Bilal, j'ai bien dû reconnaitre à la fin de ma lecture que l'album que j'avais entre les mains faisait partie des plus faibles de l'auteur. Une déconvenue après un Animal'Z que j'avais bien apprécié. Bilal se repose-t-il sur ses lauriers ? A-t-il eu juste une petite baisse de créativité pour ce deuxième épisode ? J'attends donc de voir le troisième et dernier tome qui j'espère relèvera le niveau de celui-ci. 
En tout cas, cela confirme encore une fois avec cette bande dessinée, que s'appuyer sur une œuvre reconnue est loin d'être un gage de réussite, au contraire même !

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